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NIGER- Charme de Dara et appetit du langage



Ci-desssous, deux textes envoyés par Jean-François Meyer, depuis Niamey.


Le charme de Dara

J’avais remarqué que, sur la piste de Gothèye, le petit village de Dara était différent. Adossé à des dunes, il est le seul sur cette route dont l’architecture soit exclusivement composée de cases. Je me demandais pourquoi. Les autres villages ont des petites maisons de terre battues. Christian avait eu le coup de foudre pour Dara, première photo du Niger qu’il nous fit parvenir, assortie d’un commentaire sur la beauté des femmes. L’accueil y est particulièrement chaleureux. Le chef est entouré. Sa femme nous salue, ce qui est exceptionnel, et s’exprime en français. C’est elle qui nous dit : « mais comment se fait-il que vous vous intéressiez à notre village ? Quel honneur vous nous faîtes ». C’est la deuxième séance. Ici tout est calme. Deux vieillards approchent, saluent : « c’est bien, c’est très bien », remercient et s’éloignent. Le public très fourni, assis sur le sol en demi cercle, est peu exubérant. Pourtant, devant l’écran, un groupe de petites filles furieuses dispute vaillamment le territoire des nattes aux garçons et obtient gain de cause. Aucun adulte n’est intervenu pendant l’incident. Au générique de La Vie est belle, Idé annonce la fin de la séance et indique la date de notre prochain passage. Personne ne bouge. L’impression de contemplation qui se dégageait pendant la séance se confirme. Très lentement, à regrets, les groupes se lèvent et des conversations feutrées s’engagent. L’atmosphère est douce. Les enfants nous regardent démonter, presque silencieux. Des anges.

Le 5 septembre, la piste inondée par un orage, nous n’avons pu nous y rendre. Le 22 septembre nous sommes de retour. C’est la surprise. Les enfants se regroupent et sautillent. Les gens accourent de tous côté. Ce sont les femmes les plus promptes à trouver quatre chaises, une table, de l’eau. Le temps menace au nord. Pourtant, la nuit tombée, il y plus de monde que précédemment. On démarre avec les films de Programme Palu en zarma. La soirée sera envoûtante. Pendant Bal poussière des échanges vont avoir lieu. Quand l’une des ses femmes dope le polygame Demi Dieu avec une mixture de Cola et Gingembre, Hadjara répond aux exclamations féminines : « Maintenant, vous savez comment il faut faire.» Non, non il ne faut pas leur donner la recette objectent les hommes. L’ambiance est plus que joyeuse et la quiétude subtile. Le silence se fait quand la plus vieille des femmes de Demi Dieu lui dit doucement : « Tu vois, j’aurais bien aimé avoir un métier, parce que si j’an avais eu un, et bien je t’aurais quitté. » Des femmes apporteront du lait tout spécialement à notre traductrice. « Cela nous fait tant plaisir que ce soit une femme qui parle avec une si belle voix. ». Un vent soudain et violent nous contraint à interrompre la séance pour arrimer l’écran à la voiture. Rémy veut démonter. On nous le dit très paisiblement : « La pluie ne viendra pas ». Et de fait, les éclairs resteront lointains. A la fin, les hommes se sont éloignés après avoir salué, nous achevons le démontage entouré de femmes et de jeunes filles, savamment apprêté et ceintes de vêtements multicolores, qui bavardent et rient avec l’équipe pendant que les enfants, filles et garçons, dansent dans la lumière des phares. C’est insolite et beau. Ils forment deux groupes qui s’éloignent d’abord, marquent un temps, puis à un signal connu d’eux seuls, s’élancent l’un vers l’autre en battant des mains. Les pieds frappent le sol et font le rythme, les corps ondulent et se rejoignent à se toucher avant de rompre. « CNA kàà ! CNA Kàà ! » Les femmes et les filles arrêterons plusieurs fois notre Parejo qui part très lentement. Pour dire encore bonne nuit. Des « bonne nuit » malicieux, voire quelque peu polissons.

C’est Ali Oumarou, le Directeur du CRPF, « l’école de cinéma et de télé» à Niamey, qui nous donnera la clef du mystère Dara. Il y est né. C’est une communauté Peuhl qui a abandonné la vie exclusivement pastorale et nomade pour se sédentariser. L’ambiance étrange et délicate des soirées concorde à merveille avec la réputation de sensibilité et de raffinement des Peuhls.


Appétit du langage

Un soir de septembre. Nous avons quitté Hondey-Koira-Tégui autour de vingt heures, sans nous installer. C’est le vieux chef qui, présent du début à la fin depuis l’ouverture des projections, nous le conseilla : « la pluie va venir ». A regret, nous l’écoutons. Les enfants sont calmes. Ils ne protestent pas. Ils savent que ça va tomber très fort. Effectivement, le déluge s’abat sur la brousse. Sur la piste Rémy va conduire trente kilomètres, avec d’infinies précautions, dans des gerbes d’eau boueuse. A quelques kilomètres du « goudron » ça ne passe plus. Les flots ont emporté la piste. Incha halla. Il faut attendre. Plusieurs véhicules sont là. Les lampes de poche dansent dans la nuit. Des gens tentent de passer à pieds dans le noir. Ils reviennent, le courant est trop fort. On palabre. Le temps passe. Il est minuit. Soudain, quelqu’un s’exclame : « mais qu’est-ce qu’on va manger ? ». Une forte voix, volontairement caverneuse, répond derrière moi : « on va manger le blanc ». Fou rire. Je me dis que Tintin s’en sort toujours quand il est dans le chaudron. Il trouve une astuce. Je regarde et j’avise deux types énormes, en boubou. Je lance : « non, on va manger les plus gros ». Le fou rire redouble. Sauvé Milou ! Finalement, en revenant sur nos pas au village le plus proche on dégustera des brochettes de mouton avec du café. A l’heure de la première prière, avec la décrue, nous trouverons en amont un guet praticable.

A Niamey, un mur l’affirme : il est « interdit de picé » sous peine d’une amende de 1000 francs CFA. C’est pourquoi il convient d’utiliser « L’urinoire ». Dans notre quartier il y a une « Manicure » et d’ailleurs sur une facture le Cinéma Numérique est « ambilant ». Savoureuses fautes d’orthographe qui n’égalent pourtant pas le sel de certaines expressions. Ainsi les enseignes « Redoutable coiffeur », « Hôpital du pneu », « Prix régressifs », « Tête de taxi » ou dans une clinique « Accueil – Urgence - Aiguillage » et cet écriteau qui avertit : « Le SIDA un tueur sur et sournois. » Une sorte d’art brut de la langue (française), voisin des panneaux peints sur les boutiques où sur les camions et que les films africains francophones que nous diffusons réverbèrent naturellement. Dans l’équipe du CNA, un jeu d’autodérision fertile consiste à utiliser, pour se parler, des dialogues de films connus par cœur. Et bien sûr à les prolonger. C’est le « bonheur totalement » quand un soir, vers la fin d’une séance, je demande l’heure à Hadjara. « Désolé, me dit-elle, mais ma montre est décédée ». Idé propose immédiatement « d’examiner comment la ranimer ». Vraies répliques de cinéma. Il faut dire aussi, « déjà là », qu’Hadjara serait peut-être plus à l’aise en jeans qu’en pagne. En conséquence, Rémy propose qu’on l’accompagne « à la fripouille pour choisir un pantalon. » Lui qui est béninois avale les R alors que les nigériens les roulent bigrement. Il existe cependant de parfaites concordances. CNA ne comprend que deux syllabes (Cé-na) et n’est que rarement précédé de « le », article défini, d’ailleurs ici pronom personnel singulièrement muet mais entendu… De connivence, parce que Céna, personnage autant que ville, occupe un territoire humain et sensible. C’est que « Céna kàà ! » comme « Céna Oyé ! » Qu’on se le dise ! Et moi, là, avec mon accent nîmois prononcé et nasillard qui très souvent plonge mes compagnons dans l’embarras. Drôle d’équipage.

Dans les locaux de Point Afrique, un gars s’approche. « Salama lekom… Allekoumou salam… Alhamdoulilahi …» Comment ça va? Ça va, ça va et vous, je réponds, surpris et interrogateur. « Je suis un ami d’Idé, je vous ai rencontré au Télécentre le jour de votre arrivée. Vous êtes beaucoup amaigri. » Bon sang, Capitaine ! Ça se voit. Céna va me facturer la thalasso.


Jean-François MEYER