Par Jeanne Mercier, vendredi 9 décembre 2005 à 03:31 :: Comptes rendus - En images - Recherches :: #64 :: rss
Une petite équipe réussit le pari d’intéresser les Bamakois à la photographie: le Cinéma Numérique Ambulant (CNA) invite pendant 25 jours cinq jeunes photographes maliennes à donner à voir chaque jour un quartier différent de Bamako. Accompagnées de Meyer (Tendance Floue), elles réalisent un reportage sur le quartier et font des portraits des habitants en numérique. Le même soir, une projection de leur travail est réalisée sur un écran géant, accompagnée de musique malienne. En deuxième partie, des films burlesques et documentaires sont projetés.
Avec ce projet des Contours (évènement off de la biennale, financé par le Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées de l’union européenne) des VIe Rencontres africaines de la photographie, le CNA parvient à confronter le public Bamakois avec cette invitée,"la photographie" qui s’implante durant un mois tous les deux ans dans sa ville.
Le public rit, se reconnaît commentant chaque photo et comprend peut être mieux cet art qui s’impose depuis 1994 au Mali. Cette expérience s’inscrit en parallèle de l’unique évènement de dimension internationale tentant de promouvoir les photographes africains contemporains et la diaspora africaine, la biennale de Bamako qui s'est tenue du 10 novembre au 10 décembre 2005.
Quiconque connaît les biennales sait qu’elles sont toujours denses. Quiconque connaît la mise en place d’un évènement artistique en Afrique subsaharienne sait que tout y semble souvent anarchique et confus. C'est pourtant la seule vitrine permettant aux photographes africains de se faire connaître. Cette confusion artistique n'est pas désagréable à voir, mêlant la bonne humeur des photographes heureux de pouvoir montrer leurs créations avec de multiples festivités pendant la semaine inaugurale. Cette première semaine permet aux artistes de se rencontrer et d’échanger leur savoir avec quelques professionnels étrangers. On déplore cependant l’absence des galeristes français et des différents organisateurs de festivals comme Arles ou Perpignan.
Des Rencontres en crise identitaire: tel pourrait être le principal constat. Mélange des genres: photographie plasticienne, photographie documentaire, photographie d’art, photographie de reportage se côtoient dans les mêmes salles. Un thème, "Un autre monde", dont la définition permet d’englober presque n’importe quelle photographie et donne au spectateur une impression de désordre. Plus de 22 pays africains y sont représentés, avec un pays est invité: l’Espagne.
Divisée en plusieurs expositions, la biennale se compose, entre autres, d’une grande exposition internationale et d’accrochages nationaux qui mettent en avant le Mali, l’Algérie et le Soudan. Les Rencontres ont mis un accent particulier cette année sur le résultat de différents Workshops panafricains réalisés pendant l’inter-biennale. La multitude de photographes exposés, plus de 110 dans une dizaine de lieux différents place l’observateur dans un "autre monde" chaotique, mais la qualité artistique de la sélection réalisée par Simon Njami (le commissaire général de la biennale) est indéniable, avec en particulier des photographes nigérians dont le talent est incontestable.
Qui ne s’est jamais plaint du trop plein de commentaires dans les différentes expositions en France qui force le spectateur à lire et à ne plus voir les images? Dans les Rencontres africaines de la photographie, c’est l’inverse: aucune légende, aucune biographie de photographe - parfois même absence de tout nom. Le public est plongé dans un amas d’images, au grand regret des photographes, que les organisateurs justifient par le manque de place et de temps.
A la qualité des œuvres vient s’ajouter quelques agréables surprises. Certains commissaires indépendants ont réalisé des expositions magnifiques avec une scénographie originale, comme l’exposition soudanaise organisée par le collectif "El Nour" au mémorial Modibo Keïta, permettant, comme le soulignait Libération (28 novembre 2005) «de réveiller des images d’un pays oublié». Un coup de cœur: le Cadre de formation photographique (CFP), en marge des Rencontres et pourtant né de celles-ci. Cette association forme des photographes désireux d’approfondir leurs connaissances. De jeunes photographes prometteurs puisque l’une des anciennes élèves (Fatoumata Diabate) a obtenu le prix d’Afrique en créations cette année. A n’importe quel moment de la journée un lieu de rencontre où on vous accueille pour visiter les différentes expositions ou pour simplement parler photo. Un lieu d’échange qui montre que le refrain "Bamako, capitale de la photographie africaine" n’est pas qu’une illusion.
Jeanne Mercier consacre son master à la VIe édition des Rencontres africaines de la photographie.
Illustrations:
La suite en images sur Flickr.
Références: