Bamako, la photo introuvable

LE MONDE | 05.12.07 | 16h11  •  Mis à jour le 05.12.07 | 16h11

BAMAKO ENVOYÉE SPÉCIALE

Bamako, fin novembre, le petit studio du célèbre portraitiste Malick Sidibé ne désemplit pas. Pendant les Rencontres africaines de la photographie, principal festival de photo en Afrique, Européens et Américains font la queue pour poser pour le maître. Ce matin, le photographe, 71 ans, se fait attendre. Mais le voilà qui arrive, souriant, une valisette sous le bras. Il en sort une statuette étincelante, qu'il installe sur une table bien en vue : son Lion d'or, remporté à Venise.

 

En 2007, Malick Sidibé est la star de ces 7es Rencontres africaines, pilotées par le commissaire d'origine camerounaise, Simon Njami. Pendant un mois, la ville accueille en différents lieux une cinquantaine de photographes et une dizaine de vidéastes d'Afrique et de la diaspora. Au Musée national, l'exposition principale donne de l'Afrique une vision colorée et picturale, rarement politique. Dans cette sélection inégale, les textes explicatifs se font rares. Les autoportraits drôles et grinçants de Samuel Fosso, de République centrafricaine, dominent l'ensemble. L'artiste revêt l'apparence de ses contemporains pour moquer leurs travers : de la femme moderne faussement "libérée" à ce chef "qui a vendu l'Afrique aux colons". Les photographes sud-africains, de Jodi Bieber à Lolo Veleko, démontrent aussi leur vitalité.

En quatorze ans d'existence, le festival financé par la France (via l'opérateur CulturesFrance) et par l'Union européenne (au total environ 850 000 euros) a contribué à révéler les deux stars maliennes de la photographie, Seydou Keita (1921-2001) et Malick Sidibé. Encore aujourd'hui, pour les Maliens sélectionnés, la biennale est synonyme de voyages, d'ouverture et de rencontres. Mamadou Konaté, sélectionné quatre fois à la biennale, récapitule : "J'ai été exposé en Finlande, à Barcelone... Surtout, le festival nous a appris à regarder les images." Le jeune Mohamed Camara se voyait plutôt un avenir dans le football. Il est aujourd'hui l'un des rares photographes bamakois à vivre de son art. Le festival ne suscite pourtant pas l'enthousiasme du public. Les musées sont peu fréquentés, sauf par quelques élites et les expatriés. Quant à la photo, à part celle pratiquée dans les studios en ville, elle n'est pas très populaire. "La plupart des Maliens ne voient pas la photo comme un art", explique Mohamed Camara.

DES "PORTRAITS DÉCALÉS"

Pour élargir son audience, le festival a misé sur un nouveau lieu, immense et décalé, le Hangar. Cet ancien entrepôt de matériel agricole abrite le projet d'une association de femmes maliennes, Cultur'elles : des expositions en marge de la sélection officielle et une grande fête en l'honneur de Malick Sidibé. La France aimerait pérenniser le lieu. "L'endroit est intéressant car il est convivial, note Mantchini Traoré, présidente de l'association. Mais on a surtout besoin d'initiatives en direction du public. S'il ne se déplace pas, il faut aller à lui."

Plusieurs photographes regrettent les expositions dans la rue qui ne sont plus à l'ordre du jour. Seuls l'association Tendance floue et le Cinéma numérique ambulant (CNA) plongent au coeur des quartiers en proposant des "portraits décalés". Les passants se font tirer le portrait devant un fond numérique qui va des taxis new-yorkais à la galerie des Glaces de Versailles. Le résultat, très exotique, est projeté sur écran, et provoque l'hilarité générale.

A Bamako, quand la biennale ferme ses portes, les photographes se sentent seuls, sans lieu pour exposer. La seule galerie photo de Bamako périclite et la Maison africaine de la photographie, créée en 2006, n'a pas encore de siège. Pour survivre, les artistes doivent couvrir les mariages ou les baptêmes.

Depuis 1998, un centre de formation à la photographie tente de promouvoir cette profession, à coups de stages et de résidences. Douze étudiants y passent chaque année, mais les financements se font rares. Le directeur, le photographe Youssouf Sogodogo, forme ses élèves au tirage numérique et au travail de laboratoire. En espérant qu'un jour les tirages de la biennale soient réalisés à Bamako et non plus en Europe.

Rencontres africaines de la photographie, "Dans la ville et au-delà". Jusqu'au 23 décembre.

Claire Guillot